Retour sur le Bromont Ultra 160 / Épilogue de la saison 2016

RETOUR SUR LE BROMONT ULTRA 160

C'était samedi il y a trois semaines. Le ciel était à la grisaille. Les couleurs de l'automne étaient à leur apogée. Une température typique d'automne attendait les coureurs de l'épreuve du 160 kilomètres du Bromont Ultra. Peu avant le départ, Gilles P., l'un des organisateurs y va de son discours d'avant course. Un hymne à l'entraide et à la camaraderie.

C'est à 7 h 30 que le départ fut donné sous une pluie d'applaudissement et une grande fébrilité. 50 guerriers prenaient d'assaut ce parcours redoutable.

Pour moi, c'est un 100 miles à saveur particulière. Une première course en sol québécois pour moi sur cette distance reine. Une ambiance familiale et chaleureuse. Ma conjointe Véronick et mes beaux-enfants, Joanie et Guillaume étaient de la partie pour m'encourager et me supporter dans cette longue épreuve. La table était mise pour une expérience incroyable.

Ce récit sera un peu décousu, selon mon inspiration et selon l'intensité des moments vécus...


Bromance à Bromont (les trois mousquetaires):

Étymologie. Le mot bromance est un mot-valise anglais composé de l'abréviation de brother (bro), voulant dire frère, et de romance, qui est un mot transparent et signifie aussi romance en français.
(définition de Google)

Après à peine 5 kilomètres, nous étions regroupés Guy B.(le mousquetaire rouge), Pierre B. (le mousquetaire vert) et moi (le mousquetaire bleu). Trois mousquetaires (photo © Julien Hébert photo) dévalant les sentiers en quête d'aventure. Un premier mousquetaire vêtu de rouge, un grand gaillard ayant subi des blessures de guerre dernièrement. Une volonté, une détermination infaillible et une soif de vaincre l'animaient. Un second mousquetaire vêtu de vert que j'ai appris à connaître. Un homme d'une grande sagesse avec une voix radiophonique. Par la force des choses, nous faisions équipe, partageant notre plaisir à arpenter les sentiers et aussi nos passages à vide. Une sorte de pacte inconscient, une complicité silencieuse.

Un peu plus loin, la montée Lieutenant Dan n'avait qu'à bien se tenir. Le mousquetaire rouge nous dictait le rythme, suivi de près par le mousquetaire bleu et le mousquetaire vert.

Toujours un peu plus loin, nous traversions une érablière. Il s'agissait d'un nouvel ajout au parcours. Une section relativement plate composée de chemins de terre qui m'a semblé être un labyrinthe infini. S'en est suivi la montée du Mont des Pins. Le mousquetaire bleu faisait l'élastique à l'arrière. Il faut dire qu'il a de plus petites jambes que les deux autres!

Le trio a poursuivi sa progression jusqu'à la station de ravitaillement chez Bob. En arrivant au ravito, aucun signe de Véro et des cocos. Je suis un peu déçu, moi qui attendait impatiemment leurs encouragements. Il faut préciser que j'étais un peu en avance sur l'échéancier prévu.

Annie, la sympathique amie à Guy B. avec l'accent madelinot m'a gentiment prêté son téléphone.
C'était la première fois que je logeait un appel en pleine course...
J'appelle donc mon amoureuse:

Moi: ''Salut Véro, où êtes vous?
Véro (surprise de recevoir un appel de ma part en pleine course): ''À l'hôtel. Toi, où es tu?
Moi: ''Je suis arrivé chez Bob. Venez me rejoindre à la section du Lac Brome dans 1 h 30...

J'étais impatient de voir ma famille et de pouvoir aller chercher du réconfort et puiser de l'énergie.

Je repars en solo, précisant à mes deux accolytes que je débuterai la section en marchant et qu'ils finiront par me rattraper. Après une courte section technique et détrempée, je débouche sur une route de terre rappelant les paysages bucoliques du Vermont 100. Je me sens plein d'énergie et je décide de ne pas attendre les deux autres mousquetaires. Il faut profiter du momentum après tout! Ce fut la fin de la croisée des 3 mousquetaires. J'ai croisé mes compagnons d'arme dans les ravitos suivants et j'ai fait un bout de chemin avec Pierre B. après le km 50. J'ai bien apprécié notre croisade. Pour moi, ce fut un moment fort du Bromont Ultra 2016.

Après un certain moment à avaler les kilomètres de chemin de terre, une voiture s'approche en sens inverse à basse vitesse. Le conducteur klaxonne de manière plutôt vigoureuse. C'est Martin R. et sa famille qui sont venus nous encourager. C'est bien apprécié et ça me fait sourire.

Je fini par m'approcher du ravito du Lac Brome (km 44). Martin R. est venu à ma rencontre et me dit qu'il est surpris de me voir arriver aussitôt. Au loin, j'aperçois Véro et les enfants. Quelle immense joie de les voir enfin et quel bonheur de pouvoir partager cette belle aventure avec eux! Ils m'attendent avec un sac de bonbons (framboises en jujubes). Les enfants viennent me taper dans la main et son contents de me voir.

Je fini par poursuivre mon chemin...

'' As tu vu ma maman? ''

Beaucoup plus loin sur le parcours (près du km 65), à l'approche du ravito du Lac Gale, je trotte dans une section boisée sombre. La tombée de la pénombre se fait sentir. Un peu plus loin, je vois une petite fille au cheveux bruns foncés. Elle porte un chandail du Bromont Ultra. Comme je m'approche, elle me demande d'une voix douce: ''As-tu vu ma maman?''. Sachant qu'elle parle de Karine D (organisatrice du Bromont Ultra et ultramarathonienne en sentiers). Je lui répond que je ne l'ai pas vu.

Le ravito ne doit pas être bien loin. À peine quelques centaines de mètres plus loin, le mari de Karine et son autre petite fille l'attendent impatiemment et m'encouragent au passage.

Je fini par arriver à la station de ravitaillement du Lac Gale. Je m'assois et me réchauffe avec un bouillon de poulet. Karine arrive à la station peu après moi avec sa famille.

Karine a participé à la course l'an dernier et a été contrainte à l'abandon à une quinzaine de kilomètres du fil d'arrivée en raison d'une blessure. Elle a su faire preuve de toute une force de caractère cette année pour rallier l'arrivée sous les 30 heures, remporter l'épreuve chez les femmes et venger l'abandon de l'année précédente. Chapeau Karine!

Tergiverser au milieu du sentier...

Sous les encouragements et les conseils du bénévole en chef Benjamin R., je viens de repartir du camp de base (km 74) pour compléter la boucle de 6 km du Mont Oak. Des sentiers sinueux de vélo de montagne. Cette boucle est également le parcours des équipes à relais dont les coureurs me larguent littéralement sur place. Nous nous encourageons mutuellement. Une douleur commence à apparaître sous le genou. Douleur qui ne s'était pas manifesté à l'entraînement. Ça devient inconfortable mais je poursuis ma progression en alternant course et marche selon les aléas du sentiers. Le doute commence à s'installer. Je me questionne grandement sur la gravité potentielle de cette douleur subite.

Je fini par arriver au camp de base (km 80, 83 en vérité selon ma montre GPS) en 13 heures pile (pile poil sur mon objectif de temps de passage) où j'ai droit à une ovation lors de mon arrivée à la tente. Guylaine, la médecin en chef de l'équipe médicale me demande si je vais me faire peser tout de suite ou après ma pause. J'y vais tout de suite. Résultat: 1 maigre livre de perdue. L'hydratation et la nutrition vont #1, l'énergie aussi. Mais le genou... Je m'assois pour manger et pour changer de vêtements. Véro et les cocos sont là. Leur présence est apprécié.

Guillaume me dit: ''J'ai bu le reste de ta canette de coke'' avec un gros sourire! (en parlant de la canette que j'avais commencé à boire 6 km plus tôt. Quoi de plus beau que la naïveté et la coquinerie d'un enfant! Il est adorable.

Je mentionne à Véro que j'ai mal au genou et que la douleur s'accentue. J'en parle également à Guylaine qui me propose de me faire un taping. Pourquoi pas, si cela peut m'aider! Elle me propose également d'aviser les équipes médicales des prochains ravitos pour refaire mon taping s'il y a lieu. La grande classe! Son aide fut grandement apprécié.

Une fois le taping terminé, après avoir mangé, avoir changé de vêtements et de souliers et après avoir embrassé Véro et taper dans la main des cocos, je m'engage dans la seconde boucle. Je suis curieux de voir l'impact qu'aura le taping sur la douleur.

C'est au pas de course que je parcours la section gazonnée avant de traverser la route. La douleur est toujours présente et ne semble pas diminuer, même à la marche. Je traverse la route. Je poursuis mon chemin sur le sentier en pente légèrement descendante pour quelques centaines de mètres. Je m'arrête pour une pause pipi, continue encore un peu et m'immobilise au milieu du sentier, appuyé sur mes pôles. Je tergiverse... Poursuivre ou rebrousser chemin? Risquer d'aggraver potentiellement ma blessure ou ne pas prendre de chance? Je reste là immobile pendant plusieurs minutes... Que faire?

Je me rend à l'évidence... Ça ne serait pas prudent de poursuivre ma progression et de possiblement hypothéquer mon futur comme coureur. Mes balises sur l'abandon comme coureur d'ultra-distance ont toujours été claires: une blessure ou un risque potentiel pour ma santé. Il faut dire que côté mental, j'ai toute une tête de cochon. Les statistiques ont fini par me rattraper. Les taux d'abandon sont souvent élevés sur cette distance titanesque (160 km). Ce sera un premier DNF pour moi en 6 départs sur 100 miles. Ça arrive et ce n'est pas la fin du monde!

C'est les yeux pleins d'eau et le coeur gros que je marche en sens inverse pour retourner au camp de base. Ma déception est palpable. Lors de cette marche pénible et douloureuse sur le plan émotif, ma montre meurt comme si on m'envoyait un signe...

J'arrive à la tente et mentionne à Guylaine que malgré le taping, la douleur s'accentue et qu'il n'y a pas de chance à prendre. Ce sera Game Over pour moi! Guylaine me prête gentiment son téléphone pour que je puisse contacter Véro qui est reparti à l'hôtel avec les enfants. Avec le trémolo dans la voix, je lui annonce que j'ai abandonné et que ma douleur a genou s'est poursuivi. Elle venait d'arriver dans le stationnement de l'hôtel. Ce que je ne savais pas à ce moment là, c'était qu'elle me parlait via le bluetooth de sa voiture. Ainsi, les enfants ont entendu notre conversation. Joanie s'est immédiatement mise à pleurer. Un chagrin de déception et d'empathie. Guillaume, ne comprenant pas trop ce qui se passait à poser des questions. Il s'est également mis à pleurer. Guillaume et Joanie ont vu tout l'effort que j'ai mis pour me préparer à cette course et savent qu'il s'agit d'une véritable passion pour moi. Leur sensibilité me touche beaucoup.

Lorsque Véro et les cocos sont arrivés au camp de base pour venir me chercher, je buvais une bonne double IPA avec Stéphane S. (qui a été également contraint à l'abandon puisqu'il s'était tourné une cheville) et avec Frank (un ami coureur qui ne prenait pas le départ et qui était venu nous encourager). Guillaume pleurait toujours à chaude larmes. Je l'ai pris dans mes bras et je l'ai serré fort contre moi. Il était inconsolable. Ce moment d'empathie et de sensibilité est venu me chercher au plus profond de mes émotions. C'est les larmes aux yeux que j'essayais de le consoler (et de me consoler) du mieux que je le pouvais. Je lui ai dit qu'il y en aura d'autres et que mon gros bobo m'empêchait de courir comme il faut. Ce moment marquant demeurera imprégné dans ma mémoire à jamais. C'est un souvenir impérissable qui vaut beaucoup plus que toutes les médailles et les boucles de ceinture. C'est de l'émotion à l'état pur. Parce qu'après tout, il y a la course et il y a aussi la vie...

Prise de recul et réflexions...

Plusieurs semaines ont passé depuis Bromont. Je suis serein avec ma décision. Je ne vous cacherai pas que j'ai eu l'occasion d'y réfléchir longuement. Et si j'avais continué? Et si? Hélas, il me sera impossible de savoir ce qui se serait produit. Je ne veux pas le savoir.

J'ai pris la bonne décision pour ma santé et pour ma pérennité comme coureur. C'est une victoire en soi! Bromont Ultra est là pour rester et il ne perd rien pour attendre...


ÉPILOGUE DE LA SAISON 2016:

Ça y est, la saison 2016 est déjà terminée. L'heure est au bilan. Un bilan plus que positif.

Voici les moments forts de ma saison de course en rafale:

World's End 100 km (21 mai):

Une course très exigeante et sauvage au coeur des montagnes de Pennsylvanie. Un beau weekend de boys, de camping et de camaraderie avec Guy B. et Bruno D. Une première expérience sur la distance de 100 km qui est beaucoup plus demandante qu'un 80 km (c'est tout sauf 20 km de plus!).

Ultimate XC 38 km en amoureux (25 juin):

Une première expérience de course en couple avec ma belle Véronick. 6 heures de bonheur à parcourir les sentiers, le Vietnam, la montée de l'enfer à son rythme à elle. She's the boss! comme on dit. J'ai eu énormément de plaisir à l'accompagner, la soutenir, l'encourager et la conseiller dans sa plus longue course à vie (à ce moment là). Une expérience à renouveler avec grand plaisir!

                                          On est beau, n'est-ce pas?

Tahoe Rim Trail 100 (16-17 juillet):

Un premier 100 miles dans le sud-ouest américain. L'altitude, la magnificience des paysages, l'immensité du Lac Tahoe, des écarts de températures importants, un parcours d'une grande difficulté. Aussi grande que la fierté qui résulte de sa complétion.

Le moment fort du TRT100 fut sans contredit d'avoir l'honneur de courir (lire marcher ici) le dernier 32 km avec mon amoureuse. Le bonheur qui prend un véritable sens puisqu'il est partager. Admirer la beauté des paysages à deux.  Voir Véronick sourire parce qu'elle vient de me voir dormir en marchant. Une ''pacer'' attentionnée et à l'écoute de mes besoins. Vivre la fil d'arrivée avec elle fut magique! Le moment #1 de ma saison 2016.

Les yeux petits mais oh combien fiers!

ET MAINTENANT? QUE ME RÉSERVE 2017?

Pour le moment, je suis inscrit à un 100 miles complètement plat qui se déroule au coeur de l'hiver. Le Beast of Burden 100 (Winter) qui aura lieu le  28 janvier prochain à Lockport NY. Parce qu'il faut sortir de sa zone de confort!

Je prendrai également part à la loterie du Western States pour la 3e année. J'aurai 4 coupons, ce qui représentera sans doute un 10-11% de chance d'être pigé avec le nombre croissant de coureurs qui se qualifient pour cette loterie. Cette pige qui aura lieu le 3 décembre prochain sera déterminante dans la planification de ma saison.

J'ai également d'autres gros projets. À suivre...

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